« Que l’alimentation soit ta première médecine », disait Hippocrate. C’était il y a près de 2 500 ans. De tout temps, l’homme a cherché à se soigner en favorisant certains aliments. Entretien avec le Pr Luc Cynober, pharmacien et directeur de recherche à l’Université Paris-Descartes.
Depuis toujours, l’homme a utilisé certains aliments comme remèdes. Qu’en pensez-vous à la lumière des connaissances actuelles ?
Pr Luc Cynober - La recherche justifie bien souvent les traitements empiriques d’autrefois. Nous avons identifié de nombreux principes actifs contenus dans des plantes ou des aliments qui ont traditionnellement servi à soigner. Par exemple, le soja contient des phytoestrogènes, des composés qui miment les effets des oestrogènes féminins dans l’organisme et qui peuvent expliquer pourquoi les femmes asiatiques souffrent assez peu des désagréments occasionnés par la ménopause. L’effet protecteur observé des choux contre certains cancers s’explique en partie par leur apport d’indoles, qui permettent de neutraliser les benzopyrènes toxiques des aliments fumés.
Les épices seraient particulièrement prometteuses. Est-ce vrai ?
Pr L. C. - En effet, les épices sont riches en polyphénols, des molécules anti-oxydantes, qui s’avèrent avoir d’autres effets positifs. Piments, poivre et curcuma sont particulièrement étudiés. Dans notre laboratoire, nous nous sommes intéressés au curcuma, qui est l’épice qui colore en jaune le curry. En médecine traditionnelle ayurvédique (indienne), le curcuma est utilisé pour traiter les troubles gastro-intestinaux, les infections, les rhumes, les maux de tête… Son principe actif est la curcumine, dont les propriétés anti-inflammatoires ont été démontrées dès les années 1970. Depuis, la curcumine a fait l’objet de plusieurs centaines de publications, pour ses effets anti-tumoraux, hypocholestérolémiants (elle réduit le mauvais cholestérol et augmente le bon), préventifs du diabète de type 2 et des maladies neurodégénératives. Des essais sont en cours dans le traitement de certains cancers et de la maladie d’Alzheimer.
Suffit-il de consommer certains aliments pour rester en bonne santé ?
Pr L. C. - Même si les effets protecteurs de certains aliments sont démontrés, la plupart des maladies sont multifactorielles. Par exemple, on considère qu’une bonne hygiène de vie permettrait d’éviter 40 % des cancers, c'est-à-dire seulement moins de la moitié. En outre, la prévention ne se limite pas à l’alimentation, elle comprend la pratique régulière d’activité physique, l’absence de tabagisme et une consommation nulle ou très modérée d’alcool. Mais autant mettre toutes les chances de son côté en ayant globalement un mode de vie sain. On ne peut pas non plus prétendre soigner des maladies graves avec des aliments. Car, si on reprend l’exemple de la curcumine, il faut savoir que les doses utilisées dans le traitement des cancers vont de 1 à 8 g par jour, tandis qu’en Inde, les plus gros consommateurs de curcuma n’en ingèrent pas plus de 200 mg.
Vaut-il mieux utiliser des compléments alimentaires qui concentrent les principes actifs des aliments protecteurs ?
Pr L. C. - Les compléments alimentaires n’ont rien à voir avec des médicaments. Si leur mise sur le marché doit être assortie d’une déclaration à la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), les teneurs en nutriments indiquées et la pureté des composants ne sont pas systématiquement contrôlées. En outre, il est impossible de reproduire dans un comprimé ou une gélule la complexité nutritionnelle des aliments. Ainsi, les polyphénols, qui comptent parmi les composants alimentaires les plus prometteurs, sont au nombre de 2 000 et agissent la plupart du temps en synergie avec d’autres nutriments constitutifs des végétaux. Les compléments alimentaires peuvent juste venir à la rescousse pour combler les déficiences en vitamines ou minéraux chez les petits mangeurs.
Une alimentation équilibrée contribue-t-elle réellement à protéger notre santé ?
L. C. - Oui, dans la mesure où les recommandations visent à satisfaire les besoins en tous les nutriments essentiels et, de la sorte, à éviter les carences préjudiciables à la santé. Il est par ailleurs démontré qu’une alimentation équilibrée, mettant l’accent sur les aliments d’origine végétale et limitant les produits trop gras, sucrés ou salés, contribue à la prévention des maladies les plus courantes (obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires, certains cancers…). Les aliments réputés pour soigner doivent être consommés en alternance avec d’autres aliments de la même famille, de façon à diversifier les apports. Par exemple, les choux, riches en indoles et préventifs du cancer du côlon, peuvent être alternés avec les tomates, sources presque exclusives de lycopène, dont l’effet protecteur contre le cancer de la prostate est démontré.
Lorsque l’on cherche à établir un palmarès des aliments bons pour la santé, certains végétaux s’imposent d’emblée. Tour d’horizon.
Thé vert, ail, petits fruits rouges, choux, curry, autant d’aliments ou de boissons dont la consommation est encouragée. Et pour causes !
Des anti-oxydants synergiques
Vitamines C et E, bêta-carotène (ou pro-vitamine A), cuivre, manganèse... Les phénomènes d’oxydation font partie du fonctionnement normal de l’organisme. Mais, lorsqu’ils s’emballent dans certaines circonstances –tabagisme, exposition au soleil ou à la pollution, stress physique ou psychique – ou avec l’avancée en âge, ils peuvent accélérer le vieillissement cellulaire. Ils sont du reste impliqués dans le développement des maladies cardio-vasculaires et des cancers. Pour les minimiser, nulle autre solution que de faire le plein de fruits et légumes, au minimum 5 portions soit 400 g par jour, en les variant. Les plus riches en vitamine C sont les agrumes, les fraises, le cassis, le poivron ; en vitamine E, le kiwi, la mûre, l’avocat, l’épinard ; en bêta-carotène, l’abricot, la mangue, le melon, la carotte, le brocoli.
Des polyphénols aux multiples effets
Parmi les 2 000 dénombrés, 500 de ces composés sont bien connus des scientifiques. Selon le cas, ils peuvent avoir une action anti-oxydante, anti-inflammatoire, hypotensive, dilatatrice des vaisseaux sanguins ou anti-coagulante, utiles dans la prévention des infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux (AVC), des maladies dégénératives du cerveau ou de certains cancers. En l’état actuel des connaissances, il paraît judicieux de consommer au quotidien 2 à 3 tasses de thé vert ou de café, au moins 2 carrés de chocolat noir riche en cacao (70 % ou plus), une grappe de raisin ou une coupelle de petits fruits rouges (cassis, framboises, myrtilles…) et d’utiliser largement (mais selon la tolérance digestive) piment, poivre, gingembre et curcuma.
Des fibres pour le transit mais pas seulement
Des études récentes ayant confirmé l’intérêt des fibres dans la prévention du cancer colorectal, les experts de la Fondation Mondiale de Recherche contre le Cancer (WCRF) recommandent de consommer chaque jour des aliments céréaliers complets et/ou des légumes secs en plus des cinq portions de fruits ou légumes. Les fibres dites solubles, telles que la pectine ou les bêta-glucanes, contribuent à réduire le taux sanguin de mauvais cholestérol (LDL-cholestérol). Elles sont bénéfiques en cas de diabète ou de surpoids, puisqu’elles évitent après un repas d’avoir une glycémie (taux de sucre sanguin) trop élevée. Elles font la bonne réputation des flocons d’avoine et de la pomme, mais se trouvent également dans la banane, les agrumes, les framboises, la carotte et l’aubergine.
D’autres composés spécifiques à certains végétaux
Par exemple, les composés soufrés, qui confèrent un goût fort à l’ail, à l’oignon, aux choux et au navet. Ils ont des vertus anticancéreuses bien démontrées. L’ail contient du disulfure d’allyle, capable de bloquer la formation de substances cancérogènes et d’induire la mort (apoptose) des cellules cancéreuses. Le navet fournit des isothiocyanates qui ont globalement les mêmes actions.
La consommation de probiotiques (essentiellement des ferments) ou de prébiotiques (principalement des fibres) a un impact sur l’équilibre de la flore intestinale. Leur ingestion régulière pourrait contribuer au traitement de multiples maladies.
Si un chercheur nous avait dit, il y a quelques années, que la consommation de choucroute contribue à réduire l’anxiété, on ne l’aurait pas pris au sérieux. Mais depuis dix ans, explique Gérard Corthier, directeur de recherche honoraire à l’Institut National de la Recherche Agronomique (Inra), « les connaissances sur le microbiote (ou flore intestinale) ont beaucoup avancé. On pense désormais que de nombreuses maladies, y compris mentales, sont favorisées par un microbiote déséquilibré ».
Les maladies concernées
Environ 30 % des cas d’obésité sont associés à un microbiote atypique : les micro-organismes prédominants seraient capables d’extraire davantage de calories à partir des composés non digérés parvenus au niveau du côlon. Le microbiote participe en outre à la régulation des sensations de faim et de satiété : il pourrait être impliqué dans les troubles du comportement alimentaire, notamment l’anorexie mentale. Chez les consommateurs d’alcool, la cirrhose du foie a davantage de probabilités de se développer lorsque le microbiote présente des anomalies. De même, les maladies inflammatoires de l’intestin (telle que la maladie de Crohn) ainsi que le cancer du côlon surviendraient en présence de germes toxiques dans l’intestin.
Les bienfaits des aliments fermentés
« La consommation régulière d’aliments traditionnels fermentés, tels que la choucroute, le yaourt et les autres laits fermentés (kéfir, lait ribot…), le miso et le natto (des aliments japonais), pourrait protéger contre certaines de ces pathologies », affirme Sylvie Lortal, microbiologiste à l’Inra. C’est ce qu’observent des chercheurs dans plusieurs études, qui retrouvent notamment moins d’anxiété chez leurs plus gros consommateurs. Certains aliments fermentés peuvent en effet être assimilés à des probiotiques, définis comme des micro-organismes capables de moduler l’équilibre de la flore intestinale. En l’état actuel de la recherche, mieux vaut sans doute déguster de la choucroute (par ailleurs excellente source de vitamine C) que d’ingérer des probiotiques sous forme de gélules.
Les atouts des prébiotiques
Les prébiotiques sont des fibres particulières, qui constituent la nourriture de prédilection de certains micro-organismes intestinaux. Leur consommation régulière oriente donc l’équilibre du microbiote. Tout comme les probiotiques, ils sont à l’étude dans le traitement de diverses maladies, et notamment de l’obésité et du cancer du côlon. Ils se trouvent naturellement dans l’ail, l’oignon, l’artichaut, l’asperge, la chicorée, le poireau, le salsifis, le topinambour, la banane, le pain de seigle et le tofu. Bref, à mettre régulièrement au menu !
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